📣 101 professionnels du droit, de la santé et du monde associatif répliquent à l'Ordre des médecins
Pour les signataires de cette tribune, l’organisme professionnel ne remplit pas son rôle dans la lutte contre l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, malgré ses grandes déclarations.
Parlons d'eux est signataire.
Le 6 août dernier, dans le journal « le Monde », l’Ordre des Médecins a rédigé une tribune dont l’ambition affirmée est de redire ses motivations protectrices. « Accompagner, assister, éclairer, mais aussi soutenir celles et ceux que nous sommes amenés à soigner » seraient devenus les préoccupations de l’Ordre. Dans un contexte de campagne gouvernementale sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, nous tenons à souligner que l’Ordre des Médecins fait, au contraire, « comme si » :
Comme s’il était attaché à une médecine « humaniste et bienveillante »
Les nombreux jugements ordinaux portés à la connaissance du collectif Médecins Stop Violences montrent que :
- L’Ordre a condamné à de lourdes interdictions d’exercice des médecins qui n’avaient fait que signaler des enfants en danger. Ce faisant, il n’a pas respecté l’article 226-14 du Code pénal qui précise que dans ces cas la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire du médecin ne peut être engagée.
- L’Ordre interdit paradoxalement au médecin de mettre en cause dans ses écrits un parent maltraitant alors que plus de 80 % des violences faites aux enfants le sont dans le cadre de la famille.
- L’Ordre quand il ne soutient pas des accusés applique aux médecins l’interdiction d’immixtion dans les affaires de famille. Et ce au lieu de privilégier la règle déontologique du devoir de protection des enfants. Récemment encore un médecin (appuyé par le Conseil départemental de l’Ordre) a poursuivi un confrère généraliste. Son seul tort ? Avoir voulu protéger la fille du plaignant. Une enfant de 12 ans qui se scarifiait, ne mangeait plus, ne dormait plus, souffrait de céphalées et de douleurs abdominales. Son père (déchu de son autorité parentale, sous le coup d’une interdiction de détention et de port d’armes, en cours de procédure pour viols sur plusieurs ex-conjointes) tentait de prendre contact avec elle.
Comme si les chiffres du faible taux de signalements médicaux n’existaient pas…
La Haute autorité de Santé a relevé dès 2011 que moins de 5 % des signalements pour enfant en danger ou risquant de l’être émanaient des médecins. Dans le même temps elle estime, à juste titre, que les médecins font partie des acteurs de proximité les plus à même de dépister les maltraitances. La vice-présidente de l’Ordre ira même jusqu’à affirmer dans la presse médicale que « personne ne sait d’où viennent ces chiffres ».
Une très récente étude * de l’UMJ (unité médico-judiciaire) de l’hôpital de l’Hôtel-Dieu à Paris relève même que sur les 481 mineurs de moins de 15 ans reçus dans le cadre de violences sexuelles intras familiales entre 2018 et 2022, seuls 6 cas avaient été signalés par un médecin, soit 1,30 % des cas.
Mais tout cela n’existe pas pour l’Ordre des Médecins, dont la vice-présidente n’hésite pas, à qualifier les médecins condamnés dans les suites de signalements de « justicier sauveur » et de « cas minoritaires ».
Comme s’il prenait à cœur la lutte contre l’inceste…
En réalité, au lendemain de la parution du second rapport de la Ciivise (Commission indépendante sur l’Inceste et les Violences sexuelles Faites aux Enfants) en mars 2022 qui recommandait l’obligation légale de signalement par les médecins de toute suspicion de maltraitance, l’Ordre déclarait par la voix de sa vice-présidente dans « le Monde » son opposition vigoureuse à cette mesure qui a pourtant fait ses preuves dans de nombreux pays.
Emmanuelle Béart, un témoignage pour redonner une voix aux victimes d’inceste
Ce faisant, l’Ordre des médecins s’inscrit en totale contradiction avec les préconisations de la CIIVISE et avec la campagne gouvernementale actuelle de sensibilisation, prévention et lutte contre l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.
Comme s’il voulait assurer une « protection juridique à tous les médecins »…
Alors même que c’est lui qui n’a cessé de les poursuivre et de les condamner, l’Ordre indique maintenant vouloir donner « des directives claires » aux signalements médicaux.
Il suffit de lire les préconisations récemment données à tous les médecins français dans le bulletin de l’Ordre pour comprendre que l’objectif n’est pas de protéger les médecins mais de limiter les contenus autorisés dans les signalements, au risque de les vider de leur pertinence et de leur efficacité à protéger les enfants.
Il s’agit donc en réalité pour l’Ordre de contrôler encore plus les écrits des médecins et de limiter leurs activités de protection.
Comme s’il avait « développé des solutions responsables pour répondre à ces problématiques sensibles » que sont les violences conjugales…
Alors qu’il s’est arc-bouté au moment du Grenelle sur les violences conjugales pour préserver le secret médical coûte que coûte. En effet cette loi 2020-936 du 30 juillet 2020 dont l’Ordre est si fier, a en réalité limité les possibilités d’intervention médicale. Les signalements étant en effet conditionnés à l’existence d’un danger immédiat de mort.
Autrement dit le médecin a vu sa mission de protection réduite à une obligation déjà existante « d’assistance à personne en danger ». Le rôle de prévention des violences et des crimes que doivent avoir les médecins et les autres professionnels de santé a ainsi été totalement annulé pour les médecins.
Comme s’il avait les compétences pour organiser « un renforcement significatif de l’accompagnement des médecins » en situation de signaler une violence
En réalité, aucune compétence spécifique en pédopsychiatrie et pédiatrie (concernant les violences et l’écoute de la parole de l’enfant) n’a été sollicitée par l’Ordre des Médecins. Et aucune réflexion n’a été menée avec les professionnels de terrain compétents sur ces sujets. Les « comités vigilance sécurité » que l’Ordre assure avoir mis en place sur tout le territoire ne comportent aucun médecin spécialiste des violences faites aux enfants.
Mais il y a un point sur lequel l’Ordre des Médecins n’a pas fait « comme si », c’est celui de la communication médiatique : en répétant à l’envi son rôle dans le soutien et la protection des victimes de violences intrafamiliales, des enfants maltraités et des médecins impliqués dans la protection des enfants.
La protection des victimes et des plus vulnérables, pilier du serment d’Hippocrate prêté par chaque médecin, mérite autre chose que des « comme si ».
160 000 victimes enfants par an, un enfant violé toutes les 3 minutes en France nécessitent des actes et un engagement réel auquel l’Ordre doit s’atteler en commençant par cesser de poursuivre des médecins qui ont seulement tenté de faire protéger un enfant.
* « Victimes de violences sexuelles âgées de moins de 15 ans » étude rétrospective de l’Unité médico judiciaire de l’Hôtel-Dieu, Paris, MEYER.F, REY-SALMON C., BALANCON. M, DEGUETTE. C, VASSEUR P., GORGIARD C., DUFAYET L. Journées FHU Child
12 septembre 2023
Liste des 101 signataires de la tribune
Flore ABADIE O’LOUGHLIN, avocate
Estelle ABLAIN, avocate
Vanessa ABOUT, avocate
Noël AGOSSA, président de l’Association des Familles de Victimes de Féminicide
Luis ALVAREZ, pédopsychiatre hôpital américain de Paris
Marine ARMANGAUD, psychologue clinicienne
Lionel BAUCHOT, psychologue clinicien, expert judiciaire
Franck BAZILUCK enseignant spécialisé, musicothérapeute
Anastasia BAZLOVA, psychologue du travail
Anne-Marie BEGUE SIMON, médecin généraliste, ancien expert judiciaire et maître de conférences Virginie BÉNECH, magistrate
Valérie BENOIT, psychologue clinicienne
Olivier BEREZIAT, éducateur spécialisé, secrétaire général de l’association CDP-Enfance
Maurice BERGER, pédopsychiatre, ancien professeur associé de psychologie de l’enfant
Sonia BLAISE, présidente de l’association Voie-x de femmes
Nadège BONNETON, médecin généraliste
Emmanuelle BOULOUMIER, médecin pédiatre
Aurore BOYARD, avocate
Henriette BRARD, médecin généraliste
Caroline BREHAT, psychothérapeute
Dominique BROGI, créatrice dispositif MONSHERIF
Marie-Françoise CAMINADA, psychologue Education Nationale
Anne-Christine CHAZALY, médecin généraliste orientée pédiatrie
Bernard COADOU, médecin généraliste
Magali COCAUL ANDRE, médecin endocrinologue engagée dans la lutte contre les VSS Marion COIFFARD, médecin pédopsychiatre
Nathalie COUGNY, présidente fondatrice de l’association Les maltraitances, moi j’en parle
Pascal CUSSIGH, avocat, président de l’association CDP-Enfance
Sandra CUSSIGH HERNANDES, docteur en physiologie et physiopathologie, vice-présidente CDP Enfance
Nathalie DANIEL-MAYARAM, médecin généraliste, conférencière en parentalité et droit de l’enfant
Célia de LAVARENE, présidente fondatrice de de Stop Trafficking Of People
Louise DELENCLOS, médecin généraliste
Elisabeth DES, médecin pneumologue, allergologue
Marika DESPLATS, médecin généraliste
Isabelle DE RAUGLAUDRE, psychologue clinicienne
Jeanne DINOMAIS, médecin pédopsychiatre
Annie DUDIN, médecin pédiatre
Alexandra DURAND, psychologue clinicienne, directrice Association de prévention du psychotrauma chez l’enfant
Florence ELIE, présidente fondatrice de l’association Elien Rebirth
Emma ETIENNE, présidente association SPEAK
Françoise FERICELLI, médecin pédopsychiatre, expert judiciaire (2010-2022) Guillaume FERRÉ, psychologue clinicien
Jean-Michel FLAMERION, médecin généraliste, membre du Conseil départemental de l’Ordre des médecins de Haute-Marne
Vanessa FRASSON, avocate
Arnaud GALLAIS, membre de la CIIVISE, co-fondateur du collectif Prévenir et Protéger Virginie GAUDARD, éducatrice spécialisée
Nadine GAUVRIT ANDERSON, psychologue clinicienne
Arnaud GERVAIS, président de l’association ASPIRE
Bernard GOLSE, professeur émérite de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent
Sylvaine GREVIN, présidente fondatrice de la Fédération Nationale des Victimes de Féminicides
Andreea GRUEV VINTILA, Maîtresse de conférences HDR en psychologie sociale
Marie-Christine GRYSON- DEJEHANSART, psychologue clinicienne, expert judiciaire (1989-2015), formatrice, auteure
Violaine GUBLER, médecin pédopsychiatre
Myriam GUEDJ-BENAYOUN, avocate
Emilie HARTVICK, psychologue clinicienne
Olivia HICKS GARCIA, médecin du travail
Philippe HUMBERT, médecin dermatologue, interniste, professeur des Universités
Eugénie IZARD, médecin pédopsychiatre
Catherine JEAN, psychologue clinicienne à l’Aide Sociale à l’Enfance
Mie KOHIYAMA, co-fondatrice du Brave Movement et de BraveFrance
Cynthia ILLOUZ, Ph. D, présidente de The Women’s Voices
Gilles LAZIMI, médecin généraliste, professeur associé en médecine générale, membre du HCE
Laurence LIGIER, fondatrice directrice de Caméléon association
Vincent LOGETTE, médecin généraliste
Frédérique MARTZ-SUTTER, présidente fondatrice de l’association Women Safe and Children
Marc MELKI, photographe engagé contre les violences intrafamiliales
Christel MEYER, psychologue clinicienne
Carole MICHELON, infirmière DE, coordinatrice santé en Unité médico-judiciaire
Anne-Sylvie PELLOUX, médecin pédopsychiatre
Maud PERREAU, médecin pédopsychiatre
Catherine PERRIER- BAUDOIN, médecin généraliste, ancien médecin de PMI, ancien attaché en pédopsychiatrie
Virginie PEYRÉ, conférencière sur les violences sexuelles et l’inceste
Myriam PIERSON, médecin pédopsychiatre, formatrice, auteure
Emmanuelle PIET, gynécologue, médecin de PMI, membre du HCE
Kérel PROUST, psychologue clinicienne
Jacques PUJOL, psychologue Education Nationale
Nicolas PULUHEN, auteur, président association MON P’TIT LOUP
Tony QUILLARDET, président association Parlons d’eux
Marie RABATEL, membre de la CIIVISE, experte violences/handicap au ministère des sports
Stéphanie RANQUE-GARNIER, médecin généraliste hospitalier, algologue
Nathalie REITER, avocat
Muriel REUS, fondatrice Femmes-avec, vice-présidente de MeToo média
Larissa RIGONI-BELIN, psychologue clinicienne
Hélène ROMANO, docteure en psychopathologie HDR et docteure en droit privé et sciences criminelles
Marie SABLON, avocate
Jean SANNIER, avocat
Nicolas SAJUS, docteur en psychologie
Isabelle SANTIAGO, députée du Val-de-Marne
Eric SAVIGNAC- MAGDALINIUK, délégué FNVF Ile de France
Gilles SCHULER, médecin gynécologue
Homayra SELLIER, présidente association Innocence en danger
Jessica STEPHAN, référente parcours victimes, formatrice violences conjugales violences intrafamiliales, VSS
Raphaële SERGENT, avocate, criminaliste spécialisée en victimologie
Isabelle STEYER, avocate
Charlotte TANGUY, psychologue clinicienne
Chantal TAUDIN, psychologue clinicienne
Murielle THIBERGE-BATUDE, présidente association IWAS
Nora TIRANE fondatrice de l’association Marion, la main tendue
Judith TRINQUART, médecin addictologue, secrétaire générale association Mémoire traumatique et victimologie
Isabelle VAHÉ, psychologue clinicienne
Galia YEHEZKIELI, médecin pédopsychiatre